1096 Préparatifs du départ

Pierre l'Ermite

Que dirais-je de plus ?
Toutes les îles de la mer, et tous les royaumes de la terre furent mis en mouvement par la main de Dieu, afin qu'on crût voir s'accomplir la prophétie de David, disant dans ses psaumes: « Toutes les nations que vous avez « créées viendront se prosterner devant vous, Seigneur, et vous adorer ( Psaume 85, V. 9) ; » et afin aussi que ceux qui arrivaient aux lieux saints pussent enfin s'écrier à juste titre : « Nous adorerons le Seigneur là où sont empreintes les traces de ses pas. » On lit, au reste, dans les prophéties beaucoup d'autres passages encore où est prédit ce saint pèlerinage. 0 combien les cœurs qui s'unissaient firent éclater de douleur, exhalèrent de soupirs, versèrent de pleurs et poussèrent de gémissements, lorsque l'époux abandonna son épousé bien aimée, ses enfants, tous ses domaines, son père, sa mère, ses frères, ou ses autres parents ! Et cependant malgré ces flots de larmes, que ceux qui restaient laissèrent couler de leurs yeux pour leurs amis prêts à partir, et en leur présence même, ceux-ci ne permirent pas que leur courage en fût amolli, et n'hésitèrent nullement à quitter, par amour pour le Seigneur, tout ce qu'ils avaient de plus précieux, persuadés qu'ils gagneraient au centuple en recevant la récompense que Dieu a promise à ceux qui le suivent. Dans leurs derniers adieux, le mari annonçait à sa femme l'époque précise de son retour, lui assurait que, s'il vivait, il reverrait son pays et elle au bout de trois années, la recommandait au Très-Haut, lui donnait un tendre baiser, et lui promettait de revenir; mais celle-ci, qui craignait de ne plus le revoir, accablée par la douleur, ne pouvait se soutenir, tombait presque sans vie étendue sur la terre, et pleurait sur son ami qu'elle perdait vivant, comme s'il était déjà mort; lui alors, tel qu'un homme qui n'eût eu aucun sentiment de pitié, quoique la pitié remplît son cœur, semblait, tout ému qu'il en était dans le fond de son cœur, ne se laisser toucher par les larmes, ni de son épouse, ni de ses enfants, ni de ses amis quels qu'ils fussent ; mais montrant une âme ferme et dure il partait. La tristesse était pour ceux qui demeuraient, et la joie pour ceux qui s'en allaient.
Que pourrions-nous encore ajouter ?
« C'est le Seigneur qui a fait cela, et c'est ce qui paraît à nos yeux digne d'admiration ( Psaume 117, V. 23). »


Sources : Textes de Foulcher de Chartres - Collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France ; Editions J-L. J.Brière, Librairies : Paris 1825